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"...à Smiling Cat, celui qui sourit à tous, même à la Grande Faucheuse."
LA FAUCILLE CONTRE LE MARTEAU
Première Partie
Le jeune aide de camp fonça à travers les couloirs scintillants
du palais présidentiel de Kharkov, une ville de l’URSS située
non loin de Moscou. Les bruits de ses pas raisonnaient bruyamment dans le long
passage avec une telle rythmique qu’on aurait pu croire qu’un indigène
de la savane africaine se serait installé ici pour s’amuser Ã
jouer du tambour. Les photographies en noir et blanc et les portraits illuminés
du grand Staline, ancien président de la Russie et déclencheur
de la Première Guerre Mondiale, défilaient à grande vitesse
autour du jeune homme au fur et mesure qu’il avançait vers la grande
porte en bois au fond du couloir. D’habitude, il s’arrêtait
souvent devant les gigantesques tableaux pour admirer inlassablement le dictateur
soviétique à qui il devait tant de chose. Mais aujourd’hui,
les mauvaises nouvelles du front le forcèrent à courir plus vite
que jamais sans lui laisser le temps de souffler une seconde. En chemin, il
bouscula plusieurs secrétaires et des soldats qui se retournèrent
pour réclamer des excuses mais, trop pressé pour ralentir sa course,
il décida de ne pas s’arrêter pour si peu.
La grande porte en face de lui était gardée par deux conscrits
armés et équipés de leur imposante armure. En voyant l’aide
de camp arriver au pas de course, l’un d’eux s’interposa :
« Halte ! Qu’y a t’il ? Vous ne pouvez pas entrer comme ça
!
- Laissez-moi passer ! hurla le jeune homme en faisant signe au soldat de s’écarter.
Je dois impérativement parler au général Ivanov ! J’ai
un message de la plus haute importance à lui communiquer ! »
Le garde fronçât les sourcils et eût juste le temps de reculer
pour laisser passer le jeune homme qui agrippa la poignée dorée
de la lourde porte et l’ouvrit en coup de vent.
La salle qui s’offrit à lui était très sombre. Toutes
les fenêtres étaient closes et seule une petite lampe posée
sur le bureau du général au centre de cette grande pièce
éclairait faiblement l’atmosphère. Le jeune homme put distinguer
dans l’obscurité de nombreuses étagèrent toutes remplies
de livres divers, ainsi que des peintures semblables à celles qui l’avaient
entouré et accompagné tout au long de son périple Ã
travers le couloir pour l’amener jusqu’ici. Certaines représentaient
l’ancien président de la Russie et d’autres évoquaient
les traits de l’actuel chef du pays : Alexander Romanov. Le parquet de
cette grande pièce était recouvert d’un tapis aux couleurs
rouge-dorées et un marteau croisé d’une faucille ornait
le centre de cette œuvre brodée dans un pays de l’Orient.
Un rayon de soleil s’engouffra dans la salle en même temps que l’aide
de camps et transperçât le lustre central en cristal qui scintilla
pendant un court instant, suivi d’un léger courant d’air
qui entra par la porte en faisant vaciller le lustre qui cliqueta plusieurs
fois. Ivanov était assit à son bureau, un meuble inestimable datant
du XVIII° siècle taillé dans du bois d’acajou, une pièce
unique volée en France pendant la Première Guerre Mondiale, et
s’amusait à faire voler une petite maquette de Mig-29. Des chants
de guerre soviétiques émanant d’un poste radio donnaient
à la scène un petit air de combat aérien d’un quelconque
film américain apocalyptique. Surprit par cette intrusion soudaine, le
général dissimula rapidement son petit avion dans un tiroir pour
éviter de se faire mal voir par son subordonné et se racla la
gorge avant de parler :
« Hum ! … fit-il, gêné. Je ne vous ai pas donné
l’autorisation d’entrer, il me semble !
- Pardonnez-moi, général, mais les nouvelles ne sont pas aussi
bonnes que lors de ma dernière visite, répondit le jeune homme,
le souffle coupé par la course. Elles sont même catastrophiques
! Mais lisez plutôt ceci, vous vous en rendrez compte par vous-même…
»
Il déplia un petit papier de couleur jaune et lui tendit d’une
main tremblante. Le général s’en empara vivement et coupa
le poste radio pour se concentrer sur sa lecture. Il réajusta sa lampe
pour mieux consulter son texte et se mit à le lire en répétant
à haute voix les passages qui le choquèrent pendant que l’aide
de camp s’efforçait de calmer son rythme cardiaque.
« Les Alliés sont plus forts et plus tenaces que nous le pensions…
Leurs défenses sont de mieux en mieux préparées Ã
nos attaques… Ils reprennent peu à peu leurs territoires et sont
déjà parvenus à reconquérir Washington, Los Angeles
ainsi que la ville de Phœnix grâce à un petit groupe de résistants
qui leurs ont prêté main-forte* ( * voir la Fan Fiction «
Guérilla Urbaine » )… Leurs attaquent deviennent imprévisibles
à cause de leur Chronosphère… Nos blindés ne font
plus le poids… La marine Alliée surpasse nos Cuirassés Amiraux…
Des dauphins spécialement entraînés rendent totalement inutiles
nos pieuvres géantes… Nos pertes sont énormes et ne cessent
d’augmenter… Les nouvelles sont épouvantables ! Que vais-je
bien pouvoir dire au président Romanov ?
- Mon général, ce n’est pas tout. Plus le temps passe et
plus l’opinion publique se retourne contre nous. Il y a des révoltes
partout dans le pays pour manifester contre la guerre. Nos propagandes pour
réunir le monde sous une seule nation communiste n’ont plus d’effet.
Si nous perdons le soutien du peuple, cela peut nous amener à un coup
d’état et notre conquête du monde ne pourra pas être
menée à son terme.
- Je suis conscient de cela, camarade… »
Le général Ivanov se leva de son siège et posa sa main
sur le globe terrestre ornant son bureau. L’ensemble du continent américain
ainsi que l’Europe étaient déjà colorés en
rouge et les initiales « CCCP » effectuaient le tour de la planète.
Le général resta un moment silencieux en imaginant une Russie
qui s’étendrait de la pointe du Japon jusqu’à l’océan
Atlantique, en passant également par la première puissance économique
du monde et les pays latino-américains, ainsi que les territoires désertiques
de l’Afrique et les étendues gelées des cercles polaires
Arctique et Antarctique. Avant lui, Staline avait déjà rêvé
de tout cela et le vieux général se souvint de l’époque
où il n’était encore qu’un conscrit de deuxième
classe. Il se remémora les longs discours du dictateur qui encourageait
l’Armée Rouge à aller toujours plus loin pour étendre
les terres de l’URSS et aujourd’hui, il devait suivre le président
Romanov lancé sur les traces de son prédécesseur pour accomplir
ce même rêve. Mais maintenant, le doute venait de l’envahir
; ce rêve pourrait ne jamais devenir réalité. Lui qui s’était
déjà vu mainte fois prendre la place de son président grâce
à un assassina dès la fin de la guerre… Il soupira, puis
fixa gravement son jeune interlocuteur en déclarant :
« Pour l’heure, il est temps, je crois, de calmer les esprits. Vous
allez immédiatement organiser une conférence de presse. Il faudra
que le peuple, les journalistes et les soldats soient présents. Je parlerai
au nom du président Romanov et je veux que tout le monde entende ce discours.
Je veux que ce message soit retransmit sur toutes les ondes radios et télévisées,
que la Terre entière puisse me voir comme si elle était en face
de moi. Est-ce assez clair ?
- Da, camarade général. Très clair ! »
Le jeune aide de camp salua son supérieur, fit volte-face puis repartit
aussi vite qu’il était venu…
A l’extrémité d’une grande table noire reluisante,
le commandant Hisburn observait la dizaine d’hommes qui l’entourait
au cœur des locaux anti-atomiques du Pentagone. La salle de réunion
où ils se trouvaient étaient fortement éclairée
comparé au bureau du général Ivanov et une clarté
bleutée, semblable à un brouillard coloré, flottait dans
la pièce. Mais, contrairement au fanatisme du peuple soviétique
pour leur dirigeant, aucun portrait du président Dugan n’était
affiché dans la pièce et la décoration très sommaire
de la salle de réunion américaine faisait pâle figure devant
le luxe et la beauté du palais présidentiel de Kharkov. Le commandant
Hisburn se tenait debout. Ses yeux noirs semblaient éreintés par
des années de combat et ses cheveux gris ainsi que son visage couvert
de rides laissaient deviner son âge avancé. Il avait commandé
de nombreux bataillons de troupes américaines pendant la première
guerre pour venir en aide à l’Europe et beaucoup de soldats étaient
morts sous son commandement. Malgré cela, il était toujours parvenu
à remplir ses objectifs, ce qui lui valu d’obtenir un rang très
important au sein de l’armée américaine. Aujourd’hui,
le devoir venait de le rappeler, l’obligeant à enfiler de nouveau
son uniforme pour défendre sa patrie contre la machine de guerre communiste.
Il mâchait nerveusement le bout de son cigare et la fumée empestait
l’air autour de lui. Il attendit quelques instants avant que son assistance
ne stoppe enfin ses discussions pour lui laisser la parole. Washington était
maintenant libre depuis quelques jours et les réparations du bâtiment
du ministère de la défense, endommagé lors de la reprise
de la ville par les forces Alliées, se poursuivaient. C’est pour
cette raison que des perceuses, des meules, des marteaux et autres outils se
faisaient entendre à travers le silence religieux qui venait de tomber
sur la salle. D’un geste de la main, il invita tous ses hôtes Ã
s’asseoir : à sa droite se trouvaient les principaux dirigeants
du FBI et à sa gauche se tenaient les chefs de la CIA. Il prit une grande
inspiration avant de commencer à parler :
« Bonjour, messieurs. J’espère que vous avez été
bien accueillis et que votre voyage…
- Trêve de bavardages, commandant ! Nous n’avons pas de temps Ã
perdre avec les familiarités ! Venons-en au fait ! » coupa fortement
un homme assit à sa gauche.
Le commandant souffla une bouffé de fumée qui fit toussoter les
hommes les plus proches de lui. Puis il écrasa son cigare dans un cendrier
en verre portant les initiales de l’Air Force. Il dévisagea l’agent
de la CIA qui venait de lui parler sur un ton peu convivial, histoire de le
remettre à sa place, puis continua :
« Hier, nos satellites de communication ont intercepté une transmission
en provenance de Kharkov, en URSS. Cette transmission était destinée
directement au Kremlin et donc à ce cher président Romanov.
- Avez-vous pu saisir le contenu de ce message ? demanda quelqu’un.
- J’y viens… Ce message donc a été envoyé sur
une fréquence qui devait passer par un satellite russe pour être
codée avant d’atteindre sa destination. Nous avons pu intercepter
la transmission après son passage et son codage par le satellite. Mais
ce que les russes ignorent, c’est que nous sommes parvenus à obtenir
un décryptage de ce code grâce à l’un de nos agents
infiltrés dans le KGB. Après décodage, nous avons pu faire
une traduction approximative et cela nous sommes parvenus…
- Traduction approximative ? interrompit l’un des agents du FBI.
- Sachez que nos traducteurs font ce qu’ils peuvent mais laissez-moi vous
rappeler que la plupart de nos agents d’origine russe nous ont fait faux-bond
au début de la guerre et sont donc restés fidèles Ã
leur Mère Patrie ! Et du coup, il reste peu de gens aptes à traduire
ces messages… »
Il attendit un instant avant de poursuivre :
« Après traduction, nous avons donc pu conclure ceci : le peuple
de la Russie ne soutien plus son gouvernement à cause des récentes
défaites de l’Armée Rouge. Par conséquent, le général
Ivanov, un officier de haut rang et grand ami de l’actuel président
russe, va donner un discours dans les deux jours qui viennent devant une foule
de journalistes et de soldats pour s’adresser à sa nation au nom
de son président. Il réquisitionnera toutes les ondes radios et
les ondes télévisées pour faire entendre son message partout
dans le monde. Il encouragera ses armées à continuer le combat,
il manipulera sa population en leur donnant de fausses informations, entre autres
que Washington est encore en leur possession et que les Etats-Unis vont bientôt
cesser le combat pour tomber entièrement sous domination soviétique.
Il cherchera aussi à faire rendre les armes à ses opposants en
leur promettant la vie s’ils se rendent immédiatement.
- De la désinformation… remarqua un homme portant une paire de
lunettes. Mais où voulez-vous en venir ?
- Et bien, dans les mesures du possible, l’objectif serait de faire assassiner
ce général pendant qu’il donnera ce discours… »
Des hoquets d’étonnements parcoururent l’assemblée.
« C’est une grande audace, commandant. Mais un général
de plus ou de moins, qu’est-ce que cela va changer si leur armée
est prête à tomber ?
- Soyez réaliste, messieurs, répondit le général
Hisburn. Si nous assassinons un général, ses troupes s’en
retrouveront désemparées ! Et de plus, comme ce discours sera
retransmis à la télévision et sur les ondes radios, tout
le peuple et les soldats soviétiques assisteront à la mort de
ce général en direct ! Le doute va alors les envahir : si les
généraux soviétiques sont assassinés aussi facilement,
c’est que leur armée n’est pas fiable et que leur sécurité
est compromise !
- Et bien, je suis tout à fait d’accord avec vous, dit un agent
du FBI. Mais qui sera envoyé sur le terrain pour mener à bien
cette mission ?
- C’est pour cette raison que je vous ais réunis aujourd’hui
: je voudrais que vous vous mettiez d’accord sur le tueur que nous allons
envoyer là bas… »
Le silence tomba pendant quelques secondes avant qu’un dirigeant de la
CIA ne prenne la parole :
« Commandant, permettez-moi de souligner la futilité de réunir
tous les gens ici présents pour débattre sur ce sujet. Les tueurs
de la CIA sont assurément les experts en la matière…
- Excusez-moi, intervint un homme à droite du commandant, mais je crois
que vous vous trompez lourdement. Nos assassins sont aussi fiables, sinon plus,
que ceux de la CIA.
- Permettez-moi d’en douter, répondit calmement le dirigeant.
- Je vous rappelle que la dernière opération que vous avez mené
a été un échec total, continua l’agent du FBI. Si
je me souviens bien, vous avez envoyé un homme dans une base russe pour
qu’il collecte des renseignements sur les mouvements des divisions blindées
soviétiques dans la région de Chicago. Mais votre agent a été
tué avant même qu’il ne franchisse les remparts de la base,
n’est-ce pas ?
- Oui, c’est malheureusement la triste vérité. J’aurai
espéré éviter de retracer ces faits mais vous ne me laissez
pas le choix. Laissez-moi vous remettre en tête la dernière tentative
d’extraction de données en territoire ennemi. Le FBI a envoyé
un homme dans un laboratoire soviétique de haute sécurité
pour qu’il installe un transmetteur qui nous aurait permit d’intercepter
toutes les communications entre le quartier général russe et ce
laboratoire. Votre homme est parvenu miraculeusement à entrer dans ce
laboratoire et…
- Cet incident est sans gravité ! coupa un homme du FBI. Dès son
retour au pays, cet agent a été banni de ses fonctions !
- …et a correctement installé le transmetteur. Mais cet abruti
a omis de pousser le petit bouton sur « ON » et du coup, le transmetteur
est resté muet !
- Messieurs, s’il vous plaît, calmez-vous… demanda Hisburn
en voyant que la situation commençait à dégénérer.
- Vous le prenez sur ce ton ? Alors, je vous rappelle l’opération
« Faucon de Glace » ! cria un agent du FBI en se levant de son siège
et en ignorant la remarque du commandant. Vos hommes sont lamentablement tombés
dans une embuscade et…
- Cet incident est tenu secret ! hurla à son tour un homme de la CIA
en se mettant debout. Je peux moi aussi mettre en doute les capacités
de vos services de renseignement ! Ces imbéciles n’ont pas été
capables de prévoir la guerre !
- S’il vous plaît… Messieurs, s’il vous plaît,
je vous demande un peu de calme ! répéta le commandant sur un
ton plus fort.
- Et vos agences gouvernementales qui ont été infiltrées
par des agents du KGB ? Ils se sont débrouillés pour vous donner
de fausses informations et du coup, des bataillons entier de soldats américains
ont été perdus inutilement à cause de vous ! cria un agent
du FBI. Vos services de renseignements sont encore, pour l’heure, pollués
par ces agents soviétiques. Dans vos agences, on ne peut plus se fier
à personne !
- CA SUFFIT ! FERMEZ-LA ! » gueula le commandant Hisburn en se dressant
brusquement sur ses jambes.
L’intervention du commandant plongea instantanément la salle dans
le silence le plus plat. Seul un bruit de perceuse dans le couloir entrava cette
tranquillité soudaine. Hisburn dépassait tous les agents de plus
d’une tête et semblait dominer son assistance avec une extrême
autorité. Il parcourut des yeux la salle en fixant tour à tour
chaque agent. Ses grands yeux noirs menaçants auraient été
capables de calmer n’importe qui en un seul coup d’œil, même
l’esprit le plus nerveux et le plus turbulent. Tout le monde se rassied
alors dans le calme et Hisburn fut le seul à demeurer debout.
« Je savais que je n’aurai pas réussi à vous mettre
d’accord. C’est pourquoi j’ai imaginé un plan de rechange.
La personne qui sera envoyée sur place ne sera ni du FBI, ni de la CIA…
- Qui est cette personne ? demanda un homme au hasard.
- Elle sera désignée par mes soins. Et tout le monde ici connaît
cet homme… »
Quelques rumeurs montèrent et un agent intervint :
« Commandant… Vous n’y songez pas ! Vous n’aller pas
l’envoyer là bas ? Il n’est absolument pas digne de confiance
!
- Il est le seul qui puisse mener cette mission à bien…
- Mais c’est un reprit de justice ! Et ce sont nos organisations qui sont
responsables de son emprisonnement. Il n’acceptera jamais de travailler
pour nous.
- Ne vous inquiétez pas sur ce point. Je saurai user des bons arguments.
Faites-moi confiance. »
Des murmures de désapprobation émanèrent de l’assistance.
Tout le monde savait de quel homme il s’agissait :
« Allez chercher le Faucheur Noir… »
Exécutrix |
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