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…A ma très chère Gity la Terreur, on l’aura ce rendez-vous,
je te le promets.
LA FAUCILLE CONTRE LE MARTEAU
Deuxième Partie
Au cœur du bâtiment du ministère de la défense américaine,
au niveau aménagé le plus profondément sous la surface,
se trouve un long et étroit couloir toujours sombre et silencieux, un
couloir où très peu de gens avait osé s’aventurer
au cours de ces trente dernières années. Les rangers des sept
marines américains qui venaient de l’emprunter frappaient le sol
en cadence dans un bruit de tonnerre, rompant ainsi le silence habituel de ce
lieu bien gardé des yeux de tous. Dans ce passage extrêmement confiné,
l’obscurité était telle que certains soldats se demandèrent
s’ils n’étaient pas en train de pénétrer dans
le repaire d’une créature sortie tout droit d’un film de
science-fiction, comme une grotte remplie d’aliens assoiffés de
sang ou un laboratoire secret envahit par des zombies amateurs de chair humaine.
Mais les courageux militaires se rassurèrent en orientant leurs lampes-torches
dans toutes les directions, en prenant bien soins d’éclairer et
de vérifier le moindre petit recoin du couloir pour éviter d’être
attaqués par surprise. L’obscurité se dissipa rapidement
lorsque la petite escouade arriva devant une porte surveillée par un
garde et verrouillée à l’aide d’un complexe système
d’aimants électrifiés. Soulagés de voir enfin de
la lumière et de rencontrer un véritable représentant de
la race humaine, les lampes-torches s’éteignirent une à
une et quelques soupirs d’apaisement résonnèrent. En remarquant
l’arrivée des militaires du coin de l’œil, le gardien
laissa tomber sa cigarette et l’éteignit en l’écrasant
sur le sol, répandant une fine couche de cendre sous ses bottes. Il s’avança
vers eux et demanda fermement :
« Autorisation, s’il vous plaît. »
L’homme à la tête du groupe lui tendis une feuille dont
le blanc immaculé était souillé par quelques inscriptions
au stylo noir. Une signature de la main du commandant Hisburn en personne conféra
aux marines l’autorisation d’ouverture de la porte blindée.
Le garde fit un signe de tête pour confirmer que tout était en
règle. Il s’empressa de saisir sa carte magnétique, de l’introduire
dans une fente prévue à cet effet pour ouvrir la lourde porte
qui tourna lentement sur ses gonds, et ainsi laisser libre passage aux sept
soldats.
Un portique grisâtre ressemblant aux détecteurs de métaux
que l’on trouve couramment dans les aéroports se découvrit
quelques mètres plus en avant. Un symbole jaune et noir était
peint sur celui-ci pour signaler un danger de radioactivité et une inscription
accompagnait cette mise en garde :
DANGER - - - RAYONS X
Un autre garde assis derrière un pupitre de commande orné d’une
dizaine d’écrans de télévision et de voyants de toutes
sortes fit signe au petit groupe de stopper leur marche. La même autorisation
de passage lui fut présentée. Il la parcourue des yeux, l’approuva
et les invita à avancer. Les marines passèrent le portique un
à un et le garde eu du mal à en croire ses yeux lorsqu’il
réalisa à travers ses écrans de télévision
que ces hommes portaient sur eux au minimum deux pistolets et au moins un fusil
mitrailleur…
Une seconde porte encore plus imposante que la première apparue au milieu
du couloir. Deux hommes étaient au garde à vous de chaque côté
du couloir et l’un d’eux fit volte-face à l’arriver
des militaires :
« Code et carte magnétique, je vous prie. »
Un autre soldat du groupe lui tendit la carte personnelle du commandant Hisburn
et indiqua le code d’ouverture :
« 7.2.8. Alpha Bravo 6.4.1. La fin justifie toujours les moyens…
»
Le gardien effectua la même manœuvre que précédemment
pour ouvrir la porte. Elle se scinda en deux puis chaque portion coulissa sur
le côté en dévoilant plusieurs lignes de grilles lasers
horizontales qui disparurent une seconde plus tard. Une fois le chemin libre,
les sept marines poursuivirent leur route pour arriver devant une troisième
et dernière porte. Celle-ci n’était surveillée que
par quelques petites caméras et ne ressemblait qu’à une
banale entrée de cellule fermée par un simple système à
double clé. Une flèche rouge gravée sur le mur désignait
cette porte avec une légende : « Bloc de détention de haute
sécurité N°1 ». Les deux soldats qui avaient présenté
leurs autorisations de passage se munirent chacun d’une clé et
les insérèrent dans les serrures. Deux minuscules panneaux de
contrôle, affichant plusieurs rangées de chiffres, se dévoilèrent.
Les deux militaires pianotèrent chacun un code différent à
dix chiffres puis firent un signe au reste du groupe. Les autres marines leurs
rendirent leur signe puis ils s’armèrent en vérifiant rigoureusement
le contenu de leurs chargeurs.
« Trois… Deux…Un…Zéro ! »
Ils tournèrent leur clé en même temps et la porte se déverrouilla
dans un grincement qui fit frémir les os de tous les soldats présents.
La cellule ainsi découverte était aussi sombre que l’intérieur
d’une Chronosphère lorsque le dôme blindé recouvrant
la sphère de téléportation était abaissé.
Une forte odeur de renfermé et de décomposition emplie les narines
des militaires. Certains esquissèrent des grimaces de dégoût.
Lampes-torches allumées, ils balayèrent la petite salle en éclairant
un bureau poussiéreux sur lequel étaient entreposés des
romans de divers écrivains, des piles de journaux datant de la première
guerre, un sanitaire dans un état déplorable et un lit à
l’aspect très inconfortable où un homme était étendu
en leur tournant le dos. L’un des militaires appela :
« Hé ! Le Faucheur Noir ! Debout ! On t’embarque… »
L’homme étendu répondit par un grognement.
« Debout, abruti ! On a un travail pour toi… »
Sans se retourner, le prisonnier leva sa main gauche et ferma son poing, ne
laissant apparaître que son majeur droit comme un poteau électrique.
Agacés, les soldats empoignèrent l’homme qui ne broncha
pas et se laissa traîner au travers du long couloir. De nouveau, les rangers
frappèrent le sol bruyamment mais le tintement sinistre d’une chaîne
de détenu les accompagnèrent. A présent, ils n’étaient
plus sept hommes mais huit à arpenter le couloir sombre en sens inverse…
Le commandant Hisburn tourna la poignée et entra dans la salle d’interrogatoire
du Pentagone où attendait impassiblement le Faucheur Noir qui lui tournait
le dos. Faisant face à une fenêtre, il laissait son visage invisible
s’imprégner de la chaleur des rayons du soleil qui traversaient
les carreaux transparents et se répandaient dans la petite pièce
carrée. Les deux hommes restèrent un long moment immobiles, silencieux,
calmes, seule leur respiration opposée trahissait une ambiance naturellement
tendue. Puis, pour la première fois depuis trente ans, sans se retourner,
le Faucheur Noir adressa la parole à son interlocuteur en partie responsable
de son emprisonnement :
« Lieutenant Hisburn, je serai capable de reconnaître incontestablement
le son de vos pas sur le carrelage parmi une multitude d’autres imitateurs.
Quelle ironie du sort que vous vous soyez enfin décidé avant mon
exécution de me laisser voir la lumière du jour qui m’avait
tellement manqué.
- Mais qui a parlé d’exécution ? interrogea le militaire.
- A vrai dire, je ne vois pas d’autre explication à ce qui vous
aurait poussé à me sortir de mon mètre carré de
cellule. A moins que vous ayez décidé de me laisser partir librement
mais je crois bien que je dois être le seul homme sur terre à envisager
cette éventualité…
- Il ne s’agit pas d’une exécution mais d’un travail
que j’ai à vous proposer. Un travail qui pourrait éventuellement
vous faire gagner votre liberté… Et avant toute chose, je ne suis
plus lieutenant mais commandant… ex-sergent Ydis. »
Le Faucheur Noir se retourna lentement, découvrant un faciès
qui avait bien changé depuis la dernière fois qu’Hisburn
avait pu l’apercevoir. Une chevelure et une barbe argentées couvraient
maintenant une grande partie de son visage. Ses yeux, autrefois marron clair,
avaient perdu leur coloration d’antan après plusieurs dizaines
d’années passées dans l’obscurité d’une
prison complètement hermétique à la lumière. De
nombreuses rides, plus nombreuses que sur le visage du commandant, parcouraient
sa face en creusant de profondes tranchées entre ses cernes et ses joues.
Un léger sourire moqueur se dessina dans le coin de sa bouche flétrie
:
« Commandant Hisburn… Eh bien, les promotions vont vite on dirait…
- Je n’ai pas de temps à perdre avec vos remarques impertinentes.
Répondez-moi, êtes-vous intéressé par mon offre,
oui ou non ? Nous avons peu de temps devant nous. »
Le prisonnier s’approcha de la table au milieu de la salle et s’adossa
à une chaise. Le commandant demeura, quant à lui, debout comme
à son habitude. Puis le reprit de justice répondit :
« Mais si vous m’en disiez plus, commandant, je comprendrai peut-être
pourquoi vous m’avez fait venir ici. Je suis resté coupé
du monde durant ces trente dernières années depuis la fin de la
guerre contre les soviétiques, sans savoir ce qui s’est passé
par la suite à l’extérieur. Expliquez-moi pourquoi vous
m’avez fait sortir et je pourrai peut-être vous donner une réponse.
»
Hisburn dévisagea Ydis. Ils s’étaient toujours haïs
mutuellement.
Hisburn prenait la personne devant lui pour un moins que rien, un sous-homme,
un déserteur qui ne mériterait qu’un coup de fusil pour
mettre fin à sa misérable existence.
Ydis voyait en Hisburn le principal coupable de son emprisonnement, le responsable
de plusieurs dizaines d’années de vie gâchées qu’il
aurait aimé vivre pleinement.
Le commandant s’approcha de l‘homme qui lui faisait face, prit une
grande inspiration et commença à décrire la situation en
essayant de garder son calme :
« Trente années passées sous terre, ça dépayse.
Vous êtes au courant que nous avons remporté la Première
Guerre Mondiale contre l’U.R.S.S., n’est-ce pas ? »
Un mot dans cette phrase fit sursauter le Faucheur Noir.
« Première Guerre Mondiale ? Il y en a eu d’autres ?
- C’est exact. Et nous sommes en plein milieu de la deuxième. Cette
fois, les russes ne se sont pas contentés de s’en prendre uniquement
à l’Europe mais au monde entier. Washington est même tombé
totalement sous leur domination pendant moins d’une semaine. Mais nous
sommes parvenus à reprendre le Pentagone et la ville entière en
limitant les dégâts il y a quelques jours de cela.
- Ca expliquerai pourquoi beaucoup de bâtiments que j’ai pus apercevoir
à travers la fenêtre sont en ruines… Je n’ai ni entendu
de combat, ni aucune vibration d’explosion, ni aucun autre indice qui
m’aurai laissé penser que c’était la guerre au-dessus
de moi. Ma cellule est tellement protégée et enterrée en
profondeur que si une explosion nucléaire s’était produite
à la surface, les murs de ma cellule n’auraient même pas
bougé d’un millimètre. Et vu le nombre de portes blindées
et de sécurités qui protégent ma cellule, j’en déduis
qu’aucun soldat russe n’a pu parvenir jusqu’à moi.
- Nos troupes font reculer les soviétiques toujours plus loin à
présent, continua Hisburn. Nous sommes en train de gagner la guerre.
Mais il reste encore quelques petits détails à régler :
dans peu de temps, un général soviétique va donner un discours
pour raviver le courage de ses armées et faire croire à sa population
que l’Armée Rouge vaincra l’ennemi quoi qu’il arrive.
Nous avons donc décidé de faire assassiner ce général
pour désorienter encore plus nos adversaires… »
Le commandant hésita une seconde avant d’exposer la fin de son
plan :
« …Et celui qui sera chargé de cette tâche… se
sera vous. »
Ydis fixa Hisburn droit dans les yeux, toujours avec un petit sourire mesquin
et déclara le plus calmement du monde :
« Non. »
Son interlocuteur fut surprit par cette réponse :
« Quoi « non » ?
- Je dis non. Je refuse, si vous préférez, déclara le Faucheur
Noir toujours imperturbable.
- Et pourquoi cela ? demanda amèrement Hisburn.
- Parce que je n’ai tout simplement pas envie de risquer ma vie pour vous.
Vous être en train de repousser bravement les communistes, alors je ne
vois pas en quoi mon aide sera utile à la planète. Et de toute
façon, je n’offrirai aucune assistance à ceux qui sont responsables
de mon emprisonnement.
- Si vous nous aidez à l’éliminer, notre victoire n’en
sera que plus sûre… N’oubliez pas non plus que vous pouvez,
en accomplissant cette tâche, gagner votre liberté.
- Ce ne sont pas dix ans de plus en tôle qui me feront du mal. Ma réponse
est non. Inutile d’insister, vous ne parviendrez pas à me convaincre.
Vous ne savez rien de moi…
- Ah, vous croyez ? A votre place je n’en serai pas si sûr. »
Hisburn tira d’une mallette grise plusieurs documents et se mit à
lire à voix haute :
« Je sais par exemple que vous vous nommez Samuel Ydis, que vous étiez
sergent dans le Corps des Marines des Etats-Unis pendant la première
guerre contre les communistes. Vous aviez vingt-six ans à l’époque.
Vous avez mené de nombreux raids en territoire ennemi et ainsi, vous
nous avez grandement facilité la victoire. Puis vous avez été
promu au rang d’agent secret et assassin professionnel au service de la
CIA, un poste dont vous étiez sans aucun doute très fier. Mais,
en réalisant peu après que la guerre était une expérience
véritablement horrible et estimant que votre pays n’avait plus
besoin de vous pour remporter la victoire, vous avez déserté et
vous êtes rentré chez vous, en France, dans les Alpes, dans votre
chalet pour rejoindre votre femme qui attendait impatiemment votre retour. Vous
l’avez donc rejoint pour espérer tranquillement la fin de la guerre
en territoire libre.
- Ca suffit… Fermez-là, vous n’avez pas besoin de retracer
tous ces faits… marmonna le Faucheur Noir.
- Mais un nouveau souffle de l’Armée Rouge, donné par la
découverte de l’une de leurs nouvelles technologies, leur a permis
de reconquérir de nombreux territoires perdus. Ainsi, un soir d’été,
une escouade de soldats russes est parvenue jusque chez vous…
- Taisez-vous ! Je n’ai pas envie d’entendre ça ! cria Ydis
en prenant son visage dans ses mains.
- …Ils sont entrés, ont incendié votre maison et vous ont
roué de coups jusqu’à ce que vous vous écrouliez
par terre en vous laissant pour mort. Et le pire dans tout ça, c’est
qu’ils ont violé et tué votre femme devant vous, sans que
vous ne puissiez faire quoi que ce soit… »
Ydis était au summum de sa colère. Sa respiration se fit plus
dure et ses deux rangées de dents se serrèrent fermement. Il s’était
efforcé pendant longtemps de ne plus jamais revoir dans sa tête
la scène du viol et du meurtre de sa femme dont il avait été
témoin, mais les paroles du commandant faisaient resurgire du passé
des images qui lui étaient insupportables. Voyant que sa stratégie
pour convaincre le Faucheur Noir faisait son effet, Hisburn continua :
« Je vous offre la possibilité de vous venger de cet acte de barbarie.
Vous pouvez partir dès maintenant en territoire ennemi. Vous pourrez
tuer autant de soviétique qu’il vous plaira mais, en contrepartie,
je veux que vous assassiniez ce général avant toute chose…
»
Il s’approcha davantage d’Ydis et lui murmura dans le creux de
l’oreille :
« C’est le seul moyen qui vous est offert au monde pour venger la
mort de Synthia… »
Le nom de la femme défunte d’Ydis résonna dans son crâne
comme un coup de tonnerre. Sa rage se libéra d’un seul coup. Il
se retourna, serra ses mains autour du cou du commandant et dans le même
élan, le repoussa violemment en arrière. Hisburn perdit connaissance
lorsque sa tête heurta le mur gris en émettant un « boum
» étouffé. Pour un homme d’un âge aussi avancé,
Ydis faisait preuve d’une telle rapidité et d’une telle force
qu’il tenait assurément du prodige. Il traversa d’un bond
la salle d’interrogatoire et se rua dans le couloir. Dès qu’il
mit un pied en dehors de la petite pièce carrée, comme s’il
avait été averti de leur présence, il assomma l’un
des gardiens, qui se trouvaient en faction à côté de la
porte, d’une manchette bien placée dans la Pomme d’Adam.
Le second fut mit au sol avant qu’il ne comprenne ce qui lui était
arrivé, son bras droit plié dans le sens inverse de l’articulation.
Puis le Faucheur Noir se mit à courir à perdre haleine vers une
porte marquée du symbole « EXIT ». Mais avant qu’il
ne parvienne à la franchir, il fut surprit par deux agents en costumes
noirs, armés de Uzis, qui firent éruption devant lui. Contraint
de faire demi-tour, il revint sur ses pas en ignorant leurs sommations. En repassant
devant la salle d’interrogatoire, il marcha par inadvertance sur le bras
plié du garde qu’il avait combattu auparavant. Celui-ci poussa
un cri déchirant qui s’entendit certainement jusqu’à
Moscou. Mais la chance n’était pas du côté de ce pauvre
Ydis : d’autres agents le cernèrent et il se retrouva seul contre
tous, désarmé, ne pouvant compter que sur sa vitesse et ses réflexes
pour survivre à l’avalanche de plomb qui allait s’abattre
sur lui s’il opposait la moindre résistance. Il s’apprêta
à foncer tête baissée dans le tas d’ennemis qui lui
faisait barrage mais une voix derrière lui attira son attention :
« Hé ! Connard ! »
Il se retourna et sur son visage ridé se dessina soudainement une expression
de grand étonnement : il faisait face à Hisburn, debout sur ses
deux pieds, le nez en sang mais bien conscient. Malgré les aptitudes
exceptionnelles au combat du Faucheur Noir, le commandant lui décrocha
un formidable crochet du droit qui l’envoya directement au tapis. Il roula
sur le sol sur quelques mètres puis il s’immobilisa devant la douzaine
d’agents.
« Je ne comprends pas. Le coup que vous lui avait asséné
aurait mit K.O. même le combattant de boxe le plus résistant du
pays. Mais cet homme, Ydis, semble avoir sombré dans un état de
semi-coma contrôlé. »
Dans l’hôpital improvisé du Pentagone, aménagé
à la fin des combats urbains pour accueillir les blessés de guerre,
Hisburn se tenait près du chevet du Faucheur Noir, accompagné
d’une charmante infirmière en chef en minijupe à peine visible
sous son imposante blouse blanche. Le vieil homme écoutait d’un
air attentif le descriptif de l’état de santé de l’homme
qu’il avait assommé et ne manqua pas de jeter quelques regards
plongeants dans le décolleté de la jeune femme qui se tenait près
de lui.
« Il respire à un rythme très faible mais régulier,
ce qui est typique des cas de coma profond. Mais son cerveau présente
une activité ordinaire et ne semble pas être affecté par
ce coma.
- Qu’en pensez-vous, alors ? demanda le commandant, impatient d’avoir
une réponse claire.
- Et bien… Difficile à dire… répondit l’infirmière
en chef en observant Hisburn à travers de petites lunettes rondes qui
laissaient voir ses yeux en amande. Soit nous sommes en présence d’un
cas tout à fait nouveau, soit il est bien conscient et est capable de
réguler sa respiration et son rythme cardiaque pour nous faire croire
qu’il ne vit plus…
- Ca, il y a un moyen radical de le vérifier mais je suis sûr de
son état de santé… »
Hisburn se jeta brusquement sur le Faucheur Noir et se mit à le secouer
de toutes ses forces en hurlant :
« Arrête de faire le mort ! Réveille-toi, crétin !
Sinon c’est moi qui vais te descendre une bonne fois pour toute ! »
La frêle infirmière saisie Hisburn par les épaules et tenta
de le tirer en arrière en le supplia de stopper ses exactions :
« Commandant, un peu de tenue ! Vous allez le tuer !
- Mais c’est bien mon intention… Alors tu les ouvres tes yeux, oui
? Je te garantis que si tu continue à faire le malin, je te renvoie dans
ton trou et tu n’en sortiras que lorsque tu te seras transformer en poussière
!
- Commandant, ce n’est pas le meilleur moyen pour le ranimer ! »
Finalement, Ydis consenti à ouvrir ses paupières, ce qui ne manqua
pas d’étonner l’infirmière qui cru à un miracle.
Il fixa Hisburn toujours avec un mélange de haine et de désir
intense d’assassiner cet homme. Il ne dit mot. Hisburn parla ironiquement
pour lui :
« C’est bien d’obéir aux ordres de son supérieur…
Vous avez un travail à accomplir, à présent. »
Quelques heures plus tard, dans la base aérienne de Washington, le Faucheur
Noir se tenait devant un gigantesque avion cargo marqué d’un faucon
bleu, symbole des Alliés. Les nombreuses turbines à hélice
de l’avion brassaient l’air et soulevaient ses cheveux gris comme
un léger voile blanchâtre. Il était entouré d’une
vingtaine de GI armé qui avaient ordre d’ouvrir le feu sans sommation
si le reprit de justice tentait une évasion. Il avait enfin quitté
ses répugnants vêtements bleu foncé de détenu pour
une tenue de combat entièrement noire recouverte à demi par un
gilet pare-balles. Deux autres hommes l’accompagnaient : un agent du FBI
et un autre de la CIA. Ils n’avaient pas été désignés
uniquement pour suivre et assister Ydis pendant toute la durée de sa
mission : Hisburn avait eu la riche idée d’envoyer un élément
de chaque agence gouvernementale pour régler facilement les litiges de
jalousie causés par cette mission clandestine. Une nouvelle fois, le
commandant Hisburn s’approcha du Faucheur Noir, et il dût reconnaître
à contrecœur :
« Je suis… heureux… que vous ayez accepté de nous aider.
- Je me demande bien comment j’ai pu vous laisser me convaincre.
- Je sais pourquoi : vous avez accepté car vous n’aviez vraiment
plus rien à perdre. Allez, maintenant, montez dans cet avion et accomplissez
votre mission. Ces deux hommes vous accompagneront et vous assisteront autant
qu’il le faudra, fit Hisburn en désignant du doigt les deux agents
gouvernementaux.
- Et mes armes ? Comment allez au combat si je n’ai rien pour me défendre
?
- Elles vous seront fournies dans l’avion. Je suis au courant de la rancœur
que vous entretenez envers moi alors il fallait bien prendre quelques précaution…
Vous aider à résister à la tentation de me loger une balle
dans la tête, par exemple. Il faut que je vous avoue que j’ai été
très heureux de vous démolir la gueule tout à l’heure,
cela faisait longtemps que j’en avais envie… »
Le Faucheur Noir ignora la dernière remarque du commandant et serra
les dents pour garder son calme. Il se dirigea vers l’avion toujours sous
l’œil attentif des GI qui l’escortèrent. Mais avant
d’emprunter la passerelle principale pour monter à bord de l’appareil,
il se retourna et lança au commandant :
« Mettez-vous bien ça dans la tête, Hisburn : ce que je fais
là, ce n’est absolument pas pour vous rendre service… mais
uniquement pour venger la mort de ma femme. »
Exécutrix
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